I'll be back, sweetie

Spoiler:

Time of Tranquility. Un titre accrocheur pour une exposition tout aussi attrayante. Pas moins de 28 artistes présentaient leurs œuvres à cette occasion. Artistes sélectionnés par mes soins. Tous plus talentueux qu’imaginatifs. Voilà près de trois mois que je travaillais jour et nuit sur ce projet, sans relâche. C’était la première tâche que l’on me confiait les yeux fermés, du début à la fin. Thème, conception, choix des œuvres, coordination, arrangement, décoration… Je supervisais tout et ajoutais ma note personnelle. C’était certes fatiguant, mais si cela s’avérait être une réussite, le chef me proposait d’exposait une partie de mes tableaux et de me confier d’avantage d’entreprises comme celles-ci et de libertés. C’était une occasion en or à réussir à n’importe quel prix.

L’inauguration, ayant eu lieu trois jours auparavant, fut en sois déjà une réussite. Ainsi que les critiques parues dans les rubriques cultures des différents magazines de la capitale japonaise. Si tout se déroulait ainsi pendant le reste du mois, l’affaire était conclue. J’étais sur un petit nuage, pour la première fois depuis mon arrivée à Tokyo. Si tout n’était pas simple au début, j’avais fini par vitre trouver mes marques, un job, une colocation et maintenant un but et un avenir.

Tout claquer sur un coup de tête et partir sans idée de retour. Ca ne me ressemblait pas et pourtant… Je l’ai fait ! Je n’en pouvais plus, de vivre aux crochets de mon père et de sa femme, d’espérer que mes toiles soient reconnues dans une ville où l’Art était considérée comme inaccessible et bourgeois, et d’attendre indéfiniment qu’une star de la chanson redescende sur Terre et s’aperçoive que ses anciens amis sont toujours en vie. Baka >< Si ça se trouve, il ne se souvient même plus de moi, tout simplement. Du haut de sa tour de glace, il se laisse porter de séances photos en concerts, avec sa stupide basse et ses stupides nouveaux amis. Moi, jalouse ? Jamais !

Je referme d’un coup sec le livre que je tiens entre mes mains, incapable de me concentrer sur mon roman. Assise derrière le bureau qui jouxte l’entrée, je surveille d’un œil amusé les allées et venues des visiteurs. Pour le moment, tout est relativement calme, c’est pourquoi je m’autorise une lecture passagère. Je me lève et vais à la rencontre d’un jeune couple étudiant une aquarelle, main dans la main, pour leur proposer mes services. Mais cette tranquillité, en accord parfait avec le thème de l’expo, fut bientôt interrompue par une entrée fracassante. Encore un qui aime se faire remarquer. M’excusant auprès du couple, je me retourne pour faire face au perturbateur avant de stopper net, les yeux écarquillés. Ah ben, si je m’attendais à ça.

Et non je ne rêvais pas. Je me demandais si je n’aurais pas préféré être en plein rêve, d’ailleurs. Après deux ans de silence absolu, le voilà qui apparaissait comme un cheveu sur la soupe, à la fois gênant et inattendu. Je ne savais pas DU TOUT comment réagir, partagée entre l’envie de lui sauter dans les bras et celle de lui tordre le cou. Ceci dit, les deux n’étaient pas incompatibles, je pouvais le prendre dans mes bras à l’étouffer, perspective qui me semblait vraiment attrayante, avant qu’il ne prenne la parole.

Akira : Jung Ahn! C'est fou ce que je suis content de te voir! Tu peux me sauver la vie, s'il te plait? Je te revaudrai ça!

J’avoue que là, la seule chose que j’avais envie de faire, c’était le foutre à la porte. Deux ans sans nouvelles et la première chose qu’il me demande c’est de l’aider ? Un coup de pied au c*l, oui ! Ni « bonjour » ? Ni « comment ça va » ? Ni même « qu’est ce que tu fais ici » ?!! Bon au moins il semblait « content de me voir », génial. Pas autant que moi… Le pire dans tout ça, c’est que je suis vraiment trop faible pour résister à sa demande et l’envoyer paitre. J’avoue aussi que ça m’arrangerais beaucoup que l’attroupement de filles agglutinées devant la porte, gloussant et jacassant comme des dindes me tapent sur les nerfs. Elles brisent légèrement la tranquillité du lieu, et ce n’est pas l’idéal pour les affaires.

Les quelques personnes présentent pour l’expo regardent la scène d’un œil amusé. Personnellement, je suis plutôt excédée. Je lui indique d’un signe vague de la main la porte menant à l’arrière boutique pendant que je me dirige vers l’entrée principale. J’ouvre la porte à la volée et fusille la horde de fille du regard.

Jung Ahn : S’il vous plait, un peu de calme, vous êtes devant une exposition de peinture, ici. Si vous désirez visitez, ce sera avec plaisir que je vous ferais faire le tour du propriétaire, en silence. Dans le cas contraire, la sortie se trouve juste derrière vous.

Quand c’est nécessaire, c’est fou comme je peux montrer persuasive… Dommage que je n’utilise pas ne serait-ce la moitié de cette même détermination ou cette assurance devant Akira. Après un sourire gêné au reste de l’assistance, je m’excuse d’une vague courbette, puis rejoins d’un pas précipité mon hôte dans l’entrepôt. Si seulement il était un peu moins mignon, ou un peu moins cool, peut être m’apparaitrait-il moins impressionnant, telle une fourmi que je pourrais écraser à tout moment. Pour le moment, c’est juste un géant de mon passé auquel je dois faire face. Après une bonne respiration, je m’avance à sa rencontre.

Jung Ahn : C’est fou, déjà à l’école primaire tu avais réussi à te constituer un fan club. Je ne pensais pas que cela te poursuivrais même à l’âge adulte. Il faut croire qu’en grandissant, c’est encore pire.

Je ne pouvais résister à l’envie de le taquiner, comme au bon vieux temps, comme si c’était hier que nous parlions pour la dernière fois.

J’avais imaginé cette scène des millions de fois. Tantôt amusante, tantôt effrayante. Parfois joyeuse, souvent malheureuse. Mais je bloquais toujours au dénouement final, ne sachant comment lui réagirait. Finalement, nous y voilà enfin. Alors plutôt que de sortir des banalités du genre, je devrais lui crier dessus, non ?

Akira : Mais c'est même pas ma faute! J'y peux rien, moi...

Non c’est vrai, rien du tout. Il aurait juste pu enlever son bandeau, se démaquiller, s’accoutrer autrement. En bref, ressembler aux 99% des tokyoïtes normaux se baladant chaque jour dans la capitale. Enfin, la célébrité amène aussi la grosse tête et milles et unes folies, dit-on. Pourquoi en serait-il différent pour lui ? Je soupirais, avant qu’il se jette sur moi comme si j’étais la huitième merveille du monde. Bon, ce n’était pas entièrement faux, certes (oui, mes chevilles se portent à merveille), mais il aurait pu prévenir ! Ca m’aurait évité de me retrouver coite comme une idiote. A son approche, je captais une délicieuse odeur. Son parfum était toujours le même, il n’avait pas changé depuis tout ce temps. Finalement, certaines choses étaient immuables, c’étaient plutôt rassurant.

A mon tour je passais mes bras autour de lui pour lui rendre son étreinte. Finalement, il était bien réel, en chair en os, devant moi et dans mes bras. C’est fou ce qu’il m’avait manqué, plus question de le laisser me filer !

Akira : Mais qu'est-ce que tu fais ici? Ça fait longtemps que t'es là? J'aurais aimé le savoir! Je t'aurais aidée, j'aurais... J'aurais aimé le savoir! Tu m'as tellement manquée!

Jung Ahn : Toi aussi… Tu m’as manqué. Ca fait un moment maintenant que je suis arrivé, un ou deux ans. A partir du moment où tu ne donnais plus signe de vie, en fait…

Non mais c’était quoi ce manque évident de caractère ? Je devais l’engueuler, je devais lui arracher les yeux, montrer ma désapprobation évidente, lui demander pourquoi il ne rappelait jamais !! Non, non, aucune violence, du tout. Il avait peut être des obligations, mais un coup de fil de temps à autre n’avait jamais tué personne. Si ? Celle qui faisait toujours le premier pas, c’était moi, avant que je décampe de notre ville d’origine, évidemment, une fois que j’en ai eu marre.

Akira : Ah, tu peux pas savoir à quel point je suis content de te revoir!

Je perdais patience. Stoppant net notre étreinte, je m’éloignais légèrement de lui et je regardais en haussant un sourcil, puis élevait la voix, juste assez pour que mon mécontentement soit perceptible.

Jung Ahn : Vraiment ? Il m’est d’avis que si je t’avais VRAIMENT manqué, tu n’aurais pas attendu deux longues années avant de donner signe de vie, tu crois pas? Un coup de fil, une visite surprise pendant tes vacances – parce que tu as des vacances n’est-ce pas ? – ou même une carte de noël, c’est trop demandé ? Je pensais vraiment pas que tu m’oublierais ainsi…

C’est fou ce que ça faisait du bien, finalement !

A chaque fois que je tentais de l’appeler, c’était toujours la même rengaine. J’avais son manager au bout du fil qui me priait de réessayer de le joindre plus tard, trop occupé qu’il était à jouer les stars devant les photographes ou les journalistes. Mais moi aussi j’avais aussi une vie, et d’autres choses à faire que d’attendre qu’il soit libre pour me parler. Alors je lui demandais de transmettre le message, mais maintenant qu’Akira était là devant moi, je me demandais s’il l’avait vraiment transmis, ne serait-ce qu’une seule fois ?

Il semblait aussi dérouté que moi… Mais je ne pouvais m’empêcher de lui en vouloir. Toutes ces choses que j'aurais aimer partager avec lui, sans jamais l’avoir fait Alors que peu de temps auparavant, il ne se passait rien sans que lui ou moi n'accourions l’un chez l’autre pour se raconter le moindre fait. Tandis que ces deux dernières années, il était monté dans les hautes sphères du show business sans que je n’en su rien – du moins pas les moindres détails, car il était évident que je l’avais remarqué – mais j'aurais voulu faire bien plus qu’admirer les affiches promotionnelles du groupe. J'aurait voulu le soutenir, l’encourager, vivre avec lui chaque instant. Fêter avec lui ma remise de diplôme, mon arrivée à Tokyo. Bien qu’en faite, je sois arrivé là plus pour le fuir, il était donc normal que je n’ai pas cherché à le revoir xD

Akira : D'accord, je reconnais que j'aurais pu faire un peu plus d'effort... Mais je ne t'ai pas oublié pour autant! La preuve, je t'ai reconnu immédiatement dès que je suis entré ici. Et puis, tu n'es pas de ces filles qu'on oubli facilement... Tu ne me croiras peut-être pas mais tu m'es trop importante pour que je t'oublie, de toute façon.

Je ne savais plus où mettre. Rouge de confusion, de plaisir et de gêne. C’était la première fois qu’il me livrait ainsi ses sentiments à mon égard. Et bien que ce fût la plus belle chose qu’il ne m’ait jamais dite, cela me mettait quand même mal à l’aise, et je me doutais que lui aussi.

Akira : Tu me croirais si je te disais que les cartes de Noël, elles sont à quelque part chez moi? J'ai juste pas réussi à entrer en deux petites pages tout ce que j'aurais voulu t'écrire, alors j'ai fini par abandonner...

Sincèrement, comment résister à cette moue boudeuse et ces yeux de chat potté ? C’est juste impossible. J’éclatais de rire, histoire de détendre l’atmosphère. Alors comme ça, lui non plus n’avait pas réussi à écrire quelque chose d’assez potable pour me l’envoyer ? Avant de les jeter, j’avais bien tenté d’écrire deux-trois lettres moi aussi, mais sans succès. Je lui répondis d’un air malicieux.

Jung Ahn :Bien, alors je te pardonnerais tout à condition que tu me montres ces fameux essaies… Et surtout… Que tu ne m’abandonnes plus jamais comme ça ! Et que tu me racontes tout sur ces deux dernières années… Disons maintenant ? Ah moins que tu ais autre chose de prévu…

Mio s’occuperait des éventuelles personnes intéressées par l’expo. Je pouvais bien prendre une petite pause. L’arrière boutique contenait une petite kitchenette, juste de quoi contenir un évier, un mini frigo, une table et surtout une cafetière. Je remplis d’eau le récipient et le café moulu dans un filtre. En attendant, je sortis deux tasses que je posais sur la table et m’assis devant l’une d’elle, proposant à Akira de faire de même, ou devrais je dire Reita maintenant.

Jung Ahn : Alors ? Qu’est ce que tu deviens ? Et les membres de ton groupe ? Vous êtes archi célèbres maintenant, même ma colocataire est une grande fan, il ne se passe pas un jour sans qu’elle ne parle d’Uruha !

C’était bien vrai. Le dernière fois encore, n’avait-elle pas rêvé de l’avoir rencontrer en chair et en os ? Un rêve fou, mais pas si irréalisable que ça… Si j’osais… Non, pas juste après avoir retrouvé mon meilleur ami. Et pourtant, je devais tant à Namika alors… pourquoi pas ?

J’adoptais une double personnalité en toute circonstance et depuis tout temps. Aimable et réservée en public, je devenais taquine et espiègle avec mes proches. Et bien qu’un temps si long se fût écoulé sans nouvelles de mon meilleur ami, j’espérais croire que nous n’avions rien perdu de notre complicité. C’est pourquoi la froideur affichée en premier lieu se changea vite en un sourire chaleureux et une atmosphère agréable. Mais cette scène me semblait tout de même surréaliste et j’avais peur de me réveiller en m’apercevant que tout n’était qu’imaginaire. Ou pire encore, que tout soit vrai, mais lorsque viendrait l’heure de se quitter à nouveau, tout sombrerait à nouveau dans le silence absolu. Alors j’essayais de prolonger ce moment au maximum pour ne rien regretter.

Cependant, mis à part lui offrir une tasse de thé, lui raconter ma vie et écouter la sienne, probablement bien plus palpitante que mon quotidien monotone, que pouvais-je faire d’autre ? Il m’apparaissait que bien qu’on dit qu’on ne prend conscience de l’importance d’une personne que quand on la perd, en réalité on ne s’en rend vraiment compte que quand on est amené à lui faire face une nouvelle fois…

Akira : Abandonner... c'est pas un peu pousser, comme mot? J'ai pas été si méchant, quand même... Et bon... En fait, je contais aller me recoucher pour oublier cette journée qui a commencé trop mal, alors j'ai tout le reste de ma journée pour toi, aujourd'hui!

Je n’en demandais pas tant… Ce n’est pas comme si moi je pouvais aisément prendre ma journée sans avoir de comptes à rendre. Ah, la vie d’une star est vraiment différente de celle du commun des mortelles. La café prêt, j’en versais dans chacune des tasses et prenais la mienne à deux mains. Mes mains glacées apprécièrent ce contact et se réchauffèrent petit à petit…

Akira : Raconter tout ce qui s'est passé ses deux dernières années seraient bien trop long... Et puis, je suis sûr que tu en sais les grandes lignes avec toute la publicités... Mais bon, je deviens pas grand-chose, j'imagine! Juste une image idolâtrée par des centaines de personnes... Les autres vont bien aussi, ou du moins s'ils vont mal ils n'ont pas pensés à m'en avertir!

J’imaginais, oui, surtout avec la scène qui venait de se dérouler sous mes yeux. La célébrité n’apportait pas que son lot de bonheur. Il était impossible de garder une vie privée et pire même de sortir de chez soi sans avoir une troupe de fans hystériques ou de journalistes à ses basques. La preuve en était qu’effectivement, il n’avait pas besoin de m’en dire davantage, la presse s’en était chargée avant lui. Etait-ce une bonne idée de le revoir, sous peine de m’attirer les commentaires désobligeants des paparazzis ? Qu’importe. Je préférais mille fois être trainée dans la boue que de me voir à nouveau séparée de lui.

Akira : Hey, si ta coloc aime Takeshima tant que ça, pourquoi ne pas l'inviter, une fois? On pourrait sortir les 4 ensembles, ça serait sympa!

Jung Ahn : Tu ne pourrais pas lui faire plus plaisir, c’est une excellente idée ! Je lui en parlerais de vive voix ce soir, si bien entendue, Takeshima est d’accord lui aussi.

Je tenais ce dernier pour responsable de ma séparation avec Akira. Mais puisque ce dernier s’obstinait à le suivre et à l’apprécier je ne pouvais faire qu’autrement de lui témoigner de l’affection en retour, mêlé d’une pointe de ressentiment, je ne pouvais le nier. Mais si Namika avait la chance de le rencontrer, elle me serait probablement éternellement redevable, alors je pouvais au moins faire ça pour celle qui m’avait hébergé, non ?

Akira : Mais bon, moi je n'ai aucune idée de ce que t'as pu faire ces deux dernières années! Qu'est-ce qui a fait que t'es à Tokyo, maintenant? Tu continues encore tes dessins? Je veux tout savoir!

Jung Ahn : Je suis à Tokyo avant tout pour le travail. Question opportunités, il n’y a pas mieux, en particulier pour une artiste. Mais en attendant de pouvoir exposer, je travaille dans cette galerie, et je ne suis pas mécontente de ma condition. Même si mon plus grand rêve serait de vivre de ma peinture évidemment. Tu es parti avant que je n’ais pu te montrer quoi que ce soit !

Je n’osais pas lui avouer qu’il était l’une des raisons qui m’avaient poussée à quitter notre ville natale.

Il n’avait pas changé… Egal à lui-même en toute circonstance et surtout, il ne pouvait rien me cacher. Dire que je lisais en lui comme dans un livre ouvert aurait été mentir mais ne serais pas loin de la vérité. Bien que je ne fusse pas télépathe, j’avais passé assez de temps avec Akira dans notre enfance pour déchiffrer sur son visage le moindre signe de faiblesse, de peur et surtout quand il me mentait. Aujourd’hui ne faisait pas exception à la règle, et je ne savais pas pourquoi… Après tout c’était lui qui avait proposé cette rencontre à quatre, non ? Donc pourquoi ne semblait-il pas heureux à l’idée de cette prochaine rencontre ? Peut être qu’après tout, il avait décidé il y a bien longtemps de ne plus me voir ni me parler. Et bien qu’il fasse bonne figure devant moi, il n’avait qu’une envie : partir sans la moindre idée de me revoir. Il avait lancé cette idée de dîné sans réfléchir et devait le regretter sans savoir comment faire marche arrière.

Je me sentais soudainement mal à l’aise. C’était la première fois que cela m’arrivait en sa présence. Il était d’habitude la première personne, et d’ailleurs la seule, qui m’apaisait et vers qui je me tournais en tout temps. Mais là, je me sentais mal de le retenir contre son grès, de le voir faire semblant face à moi quand il y a peu encore on se disait tout. Et même si nous arrivions à renouer contact, je suppose que ça ne serait plus jamais comme cet âge d’or que nous avions connus. Et alors je serais déçue… Moi qui attendait plus que tout autre chose ses retrouvailles, je me disais à présent qu’il aurait mieux valu rester éloigné à jamais, conservant une bonne image de l’un et de l’autre et non pas ce semblant d’amitié perdu et faux.

Akira : C'est vrai que niveau artistique, Tokyo est la ville pour s'installer. J'espère que tu trouveras ici les opportunités que tu cherches. C'est vrai que j'ai pas vu ton travail, mais si ça vient de toi, ça doit être assez bien pour se faire exposer.

Même cette conversation semblait creuse à présent. Je lui avais dévoilé une partie de ma vie alors qu’il était resté des plus évasifs. D’accord j’en savais déjà beaucoup grâce à la presse, mais moi je voulais son ressentis, ses impressions… De plus, il n’avait jamais souhaité voir mes dessins au paravent, préférant de loin sa basse, ce que je comprenais. Alors quel était ce soudain élan d’enthousiasme ? Peu importe, si lui ne savait pas jouer la comédie, ce n’était pas mon cas, alors je repris ce qui restait de ma dignité et de ma bonne humeur en main, essayant de sauver ce qui restait de cette rencontre fortuite.

Jung Ahn : Je l’espère aussi ! Mais si cette exposition est un succès, je pourrais commencer à afficher une ou deux toiles aux prochaines. Et qui sait, je me ferais peut être remarquer et on s’arrachera mes toiles à prix d’or ?

Ah oui, c’était beau de rêver… Refaire le monde ne faisait de mal à personne n’est ce pas ? Et si Akira n’avait rencontré Takeshima ? Et si Akira n’était pas devenu aussi célèbre ? Et si je n’étais pas qu’une égoïste jalouse et possessive ? Et si, et si… ? Et si je devais pas travailler, pourrions passer plus de temps ensemble ?

Akira : Ah, je... je dois te déranger en plein travail, non? J'imagine que je ne devrais même pas être ici. Je me sentirais vraiment mal si tu te faisais renvoyer à cause de mes bêtises.

Jung Ahn : Ne t’inquiète pas, tant que le propriétaire n’est pas là, c’est moi qui prend les décisions ! Et comme il ne passe qu’une fois tous les 31 du mois, on a de la marge. Puis il me fait confiance normalement, pas d’inquiétude à avoir. Je suis une grande fille.

Ca faisait étrange de dire ça d’ailleurs, moi qui ne faisait jamais rien sans lui demandé son avis. Les choses avaient bien changé et j’avais muri. Un mal pour un bien ? Mais il était vrai que je ne pourrais pas éternellement rester enfermée ici. J’avais beau avoir des droits, j’avais aussi des devoirs et des comptes à rendre. Encore dix minutes, peut être vingt, jusqu’à notre prochaine rencontre… Combien de temps encore avant que nous nous revoyons ? Un mois ? Un an ? Dix ans ? D’ici là j’aurais bien le temps de m’enfuir loin, en Amérique ou en France. Ne disait-on pas que Paris était la ville idéale ?